Un jeudi aux halles de Bacalan
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juin 3, 2018

Un jeudi aux halles de Bacalan

Premier soleil de printemps, l’air est encore frais ce jeudi-là. Les terrasses qui longent la Garonne ne sont pas encore prises d’assaut à midi. Un peu plus loin, juste en face de l’immense Cité du vin s’étale le quartier Bacalan, en pleine rénovation. Partout des grues s’agitent, cigognes géantes qui tiennent dans leur bec des structures de ferraille, squelettes des futures habitations et bureaux. Au beau milieu de toute cette agitation, il y a les halles de Bacalan, toutes de bois et métal. Léa Minod nous emmène découvrir ce lieu qui attire les Bordelais depuis cinq mois. 

Devant le restaurant Familia lequel occupe une grande partie des halles, je croise un couple, bras-dessus bras-dessous, la soixantaine et l’air aimable. Ils vont pour la première fois aux halles, « après en avoir beaucoup entendu parlé ». 

Un peu plus loin une mère et ses deux filles s’apprêtent à partager une pizza et des bières. « même s’il y a du bon vin aussi à l’intérieur ».  C’est la fille ainée qui les a entraînées ici. Elle y vient souvent pour déjeuner la semaine et me conseille la cuisine de « l’italien Taglio et le traiteur végétal bio Dose ».

Toujours en terrasse un jeune homme patiente. La vingtaine, l’air paisible, il tient à la main un emballage froissé. « J’ai mangé une fougasse en attendant mes collègues ». Il fait partie de ces nombreux employés de CDiscount – dont le siège est situé juste à côté – à préférer les halles de Bacalan à la cantine d’entreprise. « Je viens presque tous les jours ici, manger du poulet grillé principalement ». Lui me conseille aussi les pizzas, et bien entendu le stand volaille. « C’est un petit budget mais on peut s’en sortir pour 8 euros par repas… ça reste raisonnable»

Assise devant lui, une dame prend le soleil. C’est une amie qui l’a emmenée ici pour la première fois, un verre de Médoc à la main, qu’elle a choisi pour son « caractère». Elle me parle des parfums qui donnent l’eau à la bouche lorsqu’on pénètre à l’intérieur des halles « le poulet grillé, le pain frais, les pizzas… ».

Alors mon tour, je me laisse porter par les odeurs et j’entre.  

Boulangerie Bacalan

Première odeur, celle du pain frais. Car c’est là, à l’entrée de la halle que Florian cuit son pain tous les matins, aux aurores. « Je suis le premier à entrer ici à 4h du matin. C’est moi qui ai les clés et les codes de la porte principale ». Après lui arrivent le fromager et le boucher … et en dernier celles et ceux qui n’ont rien à transformer. « On forme tous une petite famille. Ce sont mes oncles, et moi je suis le petit dernier » s’amuse Florian dans un sourire qui ne trahit pas sa fatigue. 

Il paraît que l’on juge une bonne boulangerie à ses flans. Florian m’en tend un morceau « avec de la vanille de Madagascar ». Mon estomac s’éveille soudain, se rappelle qu’il a faim et que c’est délicieux. 

«Les pâtisseries de la boulangerie Bacalan sont fabriquées pas très loin, mais tous les pains sont cuits sur place, j’ai mon levain juste-là » explique le jeune homme en montrant un bac dans lequel fermente le levain à base de pelures de pommes. Dans la vitrine, quelques sandwichs donnent envie. « Ils sont préparés avec les produits des halles : le fromage et le beurre viennent du fromager, les légumes et les salades d’en face, le jambon vient du boucher ». Florian s’échappe alors pour donner le reste du flan au jeune homme à l’air flegmatique, Max, qui tient le stand de fruits et légumes juste en face. 

Délices de la nature

« Ici les légumes sont raisonnés mais pas bio, et uniquement locaux » explique le fameux Max des Délices de la nature, en attendant que le chaland vienne remplir son panier. « L’idée est d’amener les gens qui viennent ici pour manger sur place à repartir avec un panier de légumes … et ça vient doucement ». 

Fromagerie des Flots

Un peu plus loin sur la droite, la production locale n’est pas de mise. Et pour cause : dans la vitrine du fromager, on peut visiter la France à travers ses fromages. C’est du moins la volonté de ce passionné Laurent Metral, un brin timide, reconverti dans les fromages il y a 15 ans. « J’ai voulu représenter toutes les régions à travers les appellations d’origine contrôlées et d’autres plus confidentielles ». 

Après Paris, il tient aujourd’hui aux halles de Bacalan la Fromagerie des Flots où s’exposent près de 150 variétés de fromages. « C’est beaucoup mais je connais presque tous les visages des producteurs de fromages que je vends». Tous les visages …  et tous les goûts puisqu’un fromage se déguste et se lit presque comme un vin : « On parle de fruité, de parfumé, de lactique, boisé, de goût de foin… » Tout un vocabulaire qui permet au fromager d’exprimer les spécificités de chaque spécialité, « et d’inciter les locaux à manger autre chose que du fromage basque ou du Sud Ouest ». Ouvrir les palais, faire voyager. Voilà l’envie du fromager timide mais chaleureux.  

Je retrouve certains clients de stand en stand, assiette à la main, fourchette à la bouche. Certains viennent toutes les semaines, toujours aux mêmes endroits. 

Il y a cet homme élégant à la chemise bleue ciel, le teint hâlé, qui parcourt les halles. Le voilà qui glane une assiette de foie gras poêlé de la Maison Paris, avant de repartir vers son QG :

Le bar à vins Vinimarché.

L’échoppe, tenue par l’ancien industriel Régis Deltil  – à l’origine aussi de la cave de la Cité du vin – se présente comme un bar à vin, derrière lequel sont conservées plus de 200 références, principalement du sud-ouest, bio ou biodynamiques. 

Après quelques gorgées et bouchées l’homme à la chemise bleue repart et pointe à présent son nez chez le boucher pour commander les fameuses cacahuètes. 

Boucherie des Halles

Franck Barbieri est derrière son billot de boucher. Ce féru de bonne viande est aussi président de la Coobof (fédération française des boucheries). Encore un passionné, revenu dans le quartier après le service militaire à l’âge de 19 ans. « Je suis tombé dans la viande quand j’étais petit. On n’avait pas beaucoup d’argent alors à chaque fois c’était une fête », explique ce dernier, en jetant sur le feu l’une de ses spécialités, les cacahuètes des halles – en hommage à Lesieur qui stockait ses cacahuètes juste derrière les halles. Les morceaux de viande marinés frémissent « quelques secondes à peine et hop, c’est prêt à déguster ». 

Ce jour-là, Franck est entouré de Luc, un ami également boucher et formateur, venu lui prêter main forte. Mais c’est Zélie qui s’attelle à la découpe. L’étudiante en géographie aussi chargée de communication s’emploie à découper dans l’art, un morceau de Bazadaise, la spécialité du boucher. « Ici on ne vend que cette race, chaque animal que je découpe, je l’ai choisi vivant chez l’éleveur, à l’œil… Depuis le temps je me suis fait mes images, je sais reconnaître une bonne vache ». Tous les matins le boucher est livré dans les halles puis découpe la carcasse. «Les vaches ont entre 5 et 8 ans, elle ont toutes mis bas». Parce qu’à cet âge, la viande est meilleure. Et cela permet aussi à l’éleveur de s’en sortir financièrement : « comme la vache vêle chaque année, cela lui laisse le temps de la valoriser … J’achète au prix, juste, c’est important pour la survie de notre filière» explique-t-il en me tendant fièrement une assiette de cacahuètes. Après le flanc à la vanille : la viande. Mon repas n’a pas de logique mais qu’est-ce que c’est bon. 

Cosi si Mangia

Ce voyage au cœur de la nourriture va au-delà des frontières puisqu’il y a aussi un stand de nourriture italienne, Cosi si Mangia, tenu par le même patron que le restaurant des halles, Familia. 

Des produits frais, importés d’Italie. Des saucisses, des jambons, des sauces, des pâtes, de la burrata, bref « un peu tout ce qu’on peut trouver en Italie », me lance Giada derrière la vitrine, à l’accent chantant. A côté d’elle, un jeune homme ne pipe mot : « c’est notre cuisinier, mais il vient de Naples alors il ne parle pas encore français ». Bref, l’Italie à 100%. 

Il est 14h30, je n’ai plus faim tellement j’ai goûté. Le brouhaha se tait, le tintement des verres à pied s’efface derrière celui de la vaisselle que l’on range avec précaution. Les derniers gourmands finissent leur assiette et leur verre de  vin. Car c’est aussi cela, le plaisir de déjeuner aux halles de Bacalan : glaner les goûts des spécialités locales et les couleurs des vins bordelais. 

Le silence se fait. Tout le monde repart, travailler ou flâner. 

Certains vendeurs se retrouvent dehors pour fumer une cigarette, échanger quelques mots. Delphine des huîtres de Marennes Oléron discute avec Zéile de la boucherie… Et d’autres visages que je ne connais pas encore. Restent les huitres, le poisson, le poulet et tant d’autres choses à se mettre sous la dent. Tant d’autres vins à découvrir. Une prochaine fois, c’est sûr. 

Les halles de BacalanLundi : ferméMardi / Mercredi : 8h-14h30 et 17h30-20h30Jeudi / Vendredi : 8h-14h30 et 17h30-22hSamedi : 8h-22hDimanche : 8h-15hAccès : En tram : ligne B, Arrêt La Cité du Vin – En voiture : Interparking Cité du Vin 5 €/ heure – Garage à vélos.

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