Sophie Martin, le parcours d’une autodidacte atypique.
Depuis 2009, Sophie Martin est chef d’exploitation au Château Julia, une propriété à Pauillac entre Château Lynch Bages et Château Latour. Elle est aussi à la tête de 6 hectares en Haut-Médoc, à Saint Laurent-Médoc, sa ville natale.
Ces 2 vignobles appartiennent à sa famille depuis quatre générations. Contrairement à ses aïeux qui livraient leur raisin en cave coopérative, Sophie a choisi de faire ses propres vins, à son nom, au Château Julia, dans l’ancienne étable reconvertie en chai de ses parents. Son exploitation se veut artisanale et à taille humaine : le raisin est trié sur pied, ramassé à la main et la vinification parcelle par parcelle afin de tirer le meilleur de la vigne. Sophie Martin : « Julia est la contraction des prénoms de mes enfants Julie et Lucas. Ça se dit dans toutes les langues et se retient facilement. »
Le vin en héritage
Sophie Martin : « Mes grands-parents maternels étaient beaucoup dans les vignes ; elles viennent d’ailleurs principalement d’eux. Chaque génération a fait grandir un peu plus l’exploitation. Mon père avait un ouvrier qui travaillait dans le vignoble tandis que ma mère préférait les vaches. Mes parents ne souhaitaient pas que je sois agricultrice. Mon frère et moi n’avons pas été baignés dans le monde du vin. Durant l’enfance je voulais être institutrice. En 1997, j’obtiens un bac Littéraire à Bordeaux mais, cette année-là, mon père décède. C’est devant le notaire que j’ai décidé de reprendre l’exploitation. En 2002, avec un BTSA de gestion viticole, je m’installe comme jeune agricultrice avec mon frère. J’apprends, j’essaye les vaches laitières, le maïs, la vigne. Je m’attache à cette dernière pour sa pérennité, sa force, son vin et je souhaite, très vite, sortir des caves coopératives. Mais en perdant mon père et mon grand-père la même année, j’ai perdu leur savoir-faire, leur expérience. J’ai dû tout apprendre.
En 2009, je me sépare de mon frère puis de mon conjoint et je fonce sur ce projet de chai particulier : Château Julia. Au fil des années, je travaille avec 4 oenologues différents. J’écoute, je goûte, j’apprends leurs différentes méthodes. Je n’y connais rien mais je crois en mon terroir. Je n’ai pas d’oeillères. J’essaye, je me plante, je réussis. En 2015, je rencontre un fils de viticulteur Blayais, Romain Carreau, et depuis nous travaillons tous les deux sur l’exploitation. »
Quelle vigneronne êtes-vous ?
« Autodidacte, folle, pas riche, têtue, curieuse, ambitieuse, travailleuse, passionnée. »
Quels types de vin faites-vous ?
« Je fais des vins dont je suis la première consommatrice. J’essaye de les faire ronds, souples, gouleyants et gourmands, de trouver l’équilibre ; de pouvoir les boire jeunes ou de les garder. Le Château Julia n’est pas un vin comme les autres. J’ai choisi – à contrecourant des tendances du Médoc, terre de prédilection des Cabernets – de faire des vins à dominance Merlot. Le vin sorti des barriques de chêne est un vin à consommer jeune avec des saveurs fruitées et arrondies en bouche. »
Comment définiriez-vous l’évolution des vins rouges de Bordeaux ?
« Les vins rouges de Bordeaux se modernisent avec les vignerons et les consommateurs. Les goûts et les occasions de boire du vin changent. Les modes de vie et de consommation aussi. On achète et on boit le même jour. Bordeaux, et surtout le Médoc, ont cette réputation de vins taniques, très boisés, mais non ! L’émergence des vins du Nouveau Monde a réveillé Bordeaux. Les jeunes et néo-vignerons ont maintenant leur place pour tout remettre en question.»
Comment se marquent les nouvelles tendances ?
« Je voulais sortir des étiquettes pompeuses et des noms de Château compliqués. Celle du Haut-Médoc, orange et violette annonce un vin de plaisir, à partager. J’ai aussi un bib pour mettre le vin partout et le désacraliser ! La plantation d’anciens cépages comme le Petit Verdot permet de nouveaux assemblages, de personnaliser son vin, de surprendre le consommateur. »
Votre défi, ambition pour l’avenir ?
« J’aimerais vinifier dans des foudres de bois. Je souhaite passer en Terra Vitis à court terme puis m’inscrire aux Vignerons Indépendants, tester des vinifications sans apport de levures ou de soufre. J’ai plein de projets. C’est un métier qui évolue tout le temps, intarissable, passionnant.